Christine Naguib, MTA

Il ne fait aucun doute que le problème persistant de la pandémie nous a tous amené son lot de défis et de changement, mais ce fut une période particulièrement stressante et difficile pour les fournisseurs de soins œuvrant en soins de longue durée, les résidents qui reçoivent ces soins ainsi que les membres de leur famille. En juin 2020, j’ai eu l’occasion unique de vivre personnellement ces défis lorsqu’on m’a offert un poste à temps plein dans un centre de soins de longue durée qui avait grandement besoin de soutien. Avant de recevoir cette offre, je m’efforçais, comme beaucoup de musicothérapeutes, de convertir les contrats que j’avais en mode numérique ; je recherchais des façons créatives de joindre mes clients en mode virtuel. Donc, un poste au sein de l’équipe de récréation m’a été offert, mais en tant que musicothérapeute. Il était entendu dans l’entente que j’utiliserais mes compétences et connaissances de musicothérapeute pour soutenir les résidents. J’ai alors acquis une vision de la réalité de la vie en soins de longue durée pendant la pandémie. Pour moi, cela signifiait aider le personnel à la période des repas et réaliser des visites familiales virtuelles par vidéo. Au premier abord, il me semblait impossible d’adapter la pratique de la musicothérapie aux nombreux facteurs de stress et demandes qui survenaient en soins de longue durée. Néanmoins, j’ai réalisé qu’en me fiant sur ma formation et mes habiletés, la musicothérapie pouvait être adaptée et devenir une incroyable source de soutien, non seulement pour les résidents, mais aussi pour le personnel et les membres des familles.
Le problème des soins de longue durée et les défis en musicothérapie
Les soins de longue durée font face à de multiples difficultés depuis un certain temps : manque chronique de personnel, mauvais traitements envers les résidents, milieu de travail stressant ainsi qu’un haut niveau de roulement et d’épuisement professionnel. La pandémie n’a fait que rajouter des facteurs de stress à un système déjà bien hypothéqué. Avant la pandémie, la plupart des musicothérapeutes avaient des contrats avec plusieurs centres de soins de longue durée soit pour quelques heures ou pour une visite de certains clients en particulier. Les services en musicothérapie de plusieurs établissements ont été réduits ou suspendus à différents moments pendant la pandémie parce qu’ils n’étaient pas considérés comme essentiels. Tandis que la recherche de personnel pour ces besoins de base devenait de plus en plus difficile à cause de l’augmentation des restrictions et des mesures sanitaires pendant les visites familiales et d’autres activités, les services en musicothérapie semblaient plus essentiels que jamais. Malheureusement, malgré les bienfaits reconnus de la musicothérapie, le manque de subventions et les autres souches du virus ont restreint l’accès à la musicothérapie pour les résidents pendant la pandémie. De plus, plusieurs thérapeutes se sont soudainement retrouvés propulsés dans un nouveau rôle ou un rôle non habituel afin d’aider le personnel infirmier à répondre à des besoins de base plus immédiats.
La pandémie a eu un impact considérable sur tout le personnel œuvrant en soins de longue durée. Avec le travail supplémentaire, les changements constants, les éclosions, la pénurie de personnel et le peu de pauses, le personnel a eu de la difficulté à trouver l’équilibre entre leur charge de travail et leur santé. L’épuisement professionnel chez les travailleurs en soins de longue durée n’est pas nouveau ; selon Mansfield et coll. (2016), le fardeau des fournisseurs de soin auprès de personnes atteintes de démence est parmi le plus lourd de tous les groupes de fournisseurs de soins. De plus, la prestation de soins entraîne souvent une détresse psychologique telle qu’anxiété, souffrance, irritabilité, insomnie et perte d’énergie (Särkämö, et coll., 2014 ; Särkämö et coll., 2012 ; Ridder, 2017 ; Osman, et Hanser, Butterfield-Whitcomb, et Collins, 2011).
Adaptations et réussites : innover pour répondre à un environnement imprévisible
Les musicothérapeutes n’ont pas été à l’abri de ces défis supplémentaires. À cause du changement constant et de l’incertitude causés par le coronavirus, mener des séances de musicothérapie en présentiel et en ligne exige adaptation, flexibilité et créativité constante. À mon lieu de travail, la dimension des groupes est passée de 4 à 5 individus, ce qui signifie des groupes plus petits, plus fréquents et davantage de séances individuelles. Garder les résidents avec démence à une distance appropriée, de moi-même et de chacun d’entre eux, a représenté une autre difficulté puisque les résidents ont souvent tendance à se rapprocher. De plus, à cause de la nature sociale de la musique, il est difficile d’éviter de se « rassembler » à l’intérieur de groupes de musicothérapie. Les interventions chantées ont aussi été un sujet controversé pendant la pandémie, mais mon expérience du chant avec un PPI et une distanciation des résidents a été acceptable. Cependant, ce fut un réel défi de projeter ma voix et de chanter pour des périodes plus longues tout en portant un PPI complet et un couvre-visage.
L’enjeu de « regrouper en cohorte » ou de traiter des individus de différentes unités représente une autre difficulté. Lorsque j’ai commencé à travailler à l’été, j’avais des groupes et des individus dans chaque partie de la résidence. Malheureusement, à cause des restrictions liées aux éclosions, je devais rester sur une unité pour des périodes plus longues et interrompre le traitement en musicothérapie sur d’autres unités. Malgré les interruptions, j’ai trouvé que le lien thérapeutique était toujours là quand je suis retournée auprès de mes clients des autres unités parce qu’heureusement, pendant les mois d’été, peu d’éclosions sont survenues, donc un lien solide avec eux avait été établi auparavant. Par contre, il a été difficile de créer une constance dans l’horaire et une régularité de traitement à cause de l’incertitude et des changements constants de protocole ; je me suis demandé si ce que je faisais avait toujours le même effet thérapeutique. Éventuellement, j’ai trouvé la réponse : constance et régularité ne constituaient pas les buts principaux, mais m’assurer que tout ce que je faisais avait une intention thérapeutique en ce moment devenait une priorité. Je devais garder à l’esprit que chaque individu et chaque séance de groupe pouvaient être la dernière et j’ai créé des buts plus à court terme, en gardant en tête que ce but serait en ce moment, selon les circonstances. Donc, flexibilité, créativité et adaptabilité étaient une priorité.
En plus de mes groupes de musicothérapie, j’ai aussi endossé le rôle d’organiser et de favoriser les appels vidéo familiaux pour les résidents. J’ai profité de cette occasion pour expérimenter le jeu de musique avec les membres de la famille pendant les appels vidéo. Le plus souvent, je partageais avec la famille sur ce que le résident accomplissait en musicothérapie puis je permettais aux membres de la famille d’observer leur être cher qui chantait ou jouait d’un instrument. Ceci leur permettait aussi de s’impliquer dans la musique à l’intérieur de l’appel vidéo, de voir leur proche sourire et d’être engagés dans l’action. Pour les résidents moins verbaux, la musique a été un outil très efficace pour offrir une voie de communication significative pendant les appels vidéo, ce qui faisait une grande différence pour plusieurs résidents et leurs familles. Un membre de famille nous a fait part :
« Les appels vidéo constituaient un défi en soi pour ma mère parce qu’elle n’était pas très habituée avec ce moyen de communication. À toutes les fois que de la musique était intégrée à l’appel, ma mère restait plus longtemps attentive et c’était une expérience formidable pour moi, à la maison, de la regarder chanter. Lorsque nous ne sommes pas avec elle, nous ne nous demandons pas constamment comment elle va. Après l’appel vidéo, quand vous l’avez vue chanter… ça aide certainement à faire baisser le niveau d’inquiétude. »
Musique comme environnement : unir et inspirer les résidents et les membres du personnel
J’ai été inspirée par les rôles non reliés à la musicothérapie que j’ai joués comme les appels familiaux par vidéo ainsi que le travail aux côtés d’infirmières et de travailleurs de soutien ; cela m’a inspirée et m’a fait ressentir de l’empathie et m’a apporté une meilleure compréhension des facteurs de stress vécus par les autres membres du personnel. Ces actions m’ont aussi donné une occasion très spéciale pour utiliser la musique de façon créative et innovatrice pour aider au moral du personnel, atténuer la tension dans l’environnement et aider les membres de famille à se connecter avec leurs proches au moyen de Zoom. J’ai aussi remarqué un impact significatif lorsque je jouais de la musique préenregistrée durant les repas. Pendant la pandémie, le moment des repas devenait de plus en plus stressant : pour les résidents, la prise de repas dans la chambre augmentait l’isolation et pour le personnel, cela augmentait leur charge de travail à l’intérieur d’une journée déjà bien remplie. De plus, le jeu de musique « new age » pour piano a beaucoup contribué à réduire le stress. Plusieurs résidents et membres du personnel m’ont donné des commentaires positifs sur la musique offerte pendant les repas. Comme le confirme la recherche, lorsque de la musique peut être entendue dans le centre de soins de longue durée, un environnement plus positif est créé pour tous. (Pavlicevic et coll., 2015).
J’ai aussi appris à travailler en contournant les mesures qui exigeaient que les résidents demeurent confinés dans leurs propres chambres lorsque les groupes n’étaient pas permis. Pour ajouter au défi, il m’a été demandé de porter l’équipement de protection individuelle complet, y compris une jaquette et des gants, pour entrer dans la chambre d’un résident lorsque les précautions contre la transmission par voie aérienne étaient nécessaires. Afin de m’adapter, j’ai essayé un « groupe » de musique dans le corridor ; j’organisais ma musique dans le corridor et les résidents participaient de l’entrée de leur chambre. Ce fut d’abord tout un défi d’impliquer les résidents de cette façon, mais avec l’aide du personnel de soutien et du personnel soignant, tous enthousiasmes, ce fut très efficace non seulement pour l’implication des résidents, mais aussi pour l’implication du personnel soignant et du personnel de soutien avec les résidents. J’ai trouvé que l’expérience de faire un mélange de chansons connues à la guitare et au piano a été bien utile : je pouvais me déplacer plus facilement avec la guitare et établir un contact visuel avec les résidents au moyen d’interventions au piano lorsque les résidents s’impliquaient en chantant ou jouant un instrument de percussion dans leur chambre. De plus, l’utilisation de musique préenregistrée m’a permis de physiquement m’impliquer avec les résidents à partir du corridor et cela a été efficace lors d’interventions musicales ou de mouvements.
Cependant, ces « interventions de corridor » ne viennent pas sans leur lot de problèmes. En effet, il y a beaucoup d’interruptions et de distractions : les cloches d’appel, la distribution de médication et les charriots des employés de l’entretien qui passaient ainsi que ces employées entrant et sortant des chambres des résidents. Même s’il a été difficile de m’adapter à ces circonstances loin d’être parfaites, j’ai réalisé que lorsque de la musique est jouée dans le corridor, tout le monde en bénéficie. Les employés de l’entretien sourient, les infirmières dansent et chantent avec nous et les employés de soutien attrapent les maracas et aident les résidents. Les résidents qui n’avaient pas encore participé aux groupes de musicothérapie sortaient juste pour écouter la musique. Plusieurs membres du personnel soignant ont mentionné qu’ils n’avaient pas l’occasion de passer du temps de qualité avec les résidents parce qu’ils sont constamment pressés, d’une tâche à l’autre. Cependant, lorsque j’ai commencé mes groupes de musique, j’ai constaté que le personnel interagissait naturellement avec les résidents même dans leur journée bien remplie, ils chantaient pour les résidents et dansaient même avec eux.
De plus, la musique dans l’environnement a encouragé le personnel à utiliser eux-mêmes la musique avec les résidents. Par exemple, une infirmière de l’unité a chanté en harmonie avec moi pendant sa distribution de médicaments : des résidents ont souri, certains ont fait des commentaires sur sa belle voix, ce qui a créé un nouveau terrain fertile pour des liens personnels. Même si ce ne fut que pour quelques minutes, ces interactions, en ce moment, ont compté pour les résidents et les membres du personnel. L’implication du personnel dans le processus musical a été une partie essentielle du travail de groupe dans le corridor : elle motive aussi les résidents. Quelque chose de magique survenait : la musique rassemblait tout le monde, malgré la distanciation physique et les différents rôles que nous tenons. Cette expérience illustre l’habileté de la musicothérapie à créer un effet d’entrainement positif sur tous ceux impliqués dans les soins aux résidents.
Références
Osman, S. E., Tischler, V., & Schneider, J. (2016). « Singing for the brain » : A qualitative study exploring the health and well-being benefits of singing for people with dementia and their carers. Dementia: The International Journal of Social Research and Practice, 15(6), 1326-1339. doi:10.1177/1471301214556291
Hanser, S. B., Butterfield-Whitcomb, J., Kawata, M., & Collins, B. E. (2011). Home-based music strategies with individuals who have dementia and their family caregivers. Journal of Music Therapy, 48(1), 2-27. doi:10.1093/jmt/48.1.2
Mansfield, E., Boyes, A. W., Bryant, J., & Sanson‐Fisher, R. (2017). Quantifying the unmet needs of caregivers of people with dementia: A critical review of the quality of measures. International Journal of Geriatric Psychiatry, 32(3), 274-287. doi:10.1002/gps.4642
Ridder, M.H. (2017). Partners in care: A psychosocial approach to music therapy and dementia. In S. L. Jacobsen (Éd.) Music therapy with families: Therapeutic approached and theoretical perspectives. Jessica Kingsley Publishers: London.
Särkämö, T., Laitinen, S., Tervaniemi, M., Numminen, A., Kurki, M., & Rantanen, P. (2012). Music, emotion, and dementia: Insight from neuroscientific and clinical research. Music and Medicine, 4(3), 153-162. doi:10.1177/1943862112445323
Särkämö, T., Tervaniemi, M., Laitinen, S., Numminen, A., Kurki, M., Johnson, J. K., & Rantanen, P. (2014). Cognitive, emotional, and social benefits of regular musical activities in early dementia: Randomized controlled study. The Gerontologist, 54(4), 634-650. doi:10.1093/geront/gnt100